Musée Charles Peguy (Orléans, France)


The Shoppers
Pour son projet The Shoppers, Thomas Devaux capte sur le vif les visages de clients de supermarché au moment du règlement en caisse. De la dimension fantasmatique de ses premiers travaux au réalisme des nouveaux, de l’incarnation divine au corps réifié du consommateur, des identités symboliques aux individualités anonymes, Thomas Devaux opère ici un glissement aussi conceptuel qu’esthétique en se concentrant sur des icones ordinaires, figures critiques malgré elles de la société de l’hyperconsommation.
Mécanique de l’affect. Si l’expression habituelle de ses modèles, entre indolence et placidité, servait jusqu’ici à produire des effets de vanité et de déréalisation, la désaffection des consommateurs prend ici une signification plus directement critique. Elle traduit en effet l’épuisement psychologique et libidinal d’individus engagés dans une mécanique de la consommation. Arrivés au terme d’un parcours conçu dans les départements marketing d’une grande enseigne, les protagonistes affichent à première vue une absence à soi, voire une résignation (corps détendus, bras ballants), symptomatique d’une société déshumanisée, plongée dans une affectivité vide ou glacée. Alors que l’industrie canalise leur attention et instrumentalise leur désir, les clients incarnent un malaise dans la civilisation contemporaine, qui voit l’individualisme générer de la solitude et la prolifération de l’offre marchande exacerber les frustrations.
Machine critique. Pour The Shoppers, Thomas Devaux réalise pour la première fois une installation en volume, la sobriété formelle, la froideur de la structure métallique et le mouvement automatique mettent en scène l’inéluctable destin du consommateur, métaphore sensible de leurs réflexes conditionnés. Autour du tapis, un module géométrique opère un rappel à l’univers coloré des supermarchés, et à leur stratégie de séduction par saturation chromatique. Potentiellement menaçant, il apparaît tel un monolithe à la Kubrick ou à la Buñuel, l’obscur objet d’un désir désorienté (car instrumentalisé) dans la société néolibérale. En regard, la série des Rayons, obtenue à partir de photographies d’étals de supermarché, esthétise ce mobilier industriel dans des compositions abstraites et spectrales renouant avec une certaine métaphysique de la peinture qui tourne en dérision les velléités de sublimation du produit commercial. Donnant forme à un regard sceptique sur l’économie consommatoire, The Shoppers apparaît alors comme une fable plastique par laquelle le public peut prendre conscience de sa propre consumation.